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Economie, immigration, terrorisme : les intox du débat de la primaire à droite

Par Adrien Sénécat, Samuel Laurent, Maxime Ferrer et Maxime Vaudano - LE MONDE - publié le 14-10-2016

 

Retour sur plusieurs déclarations des candidats à la primaire de la droite au cours du premier débat diffusé par RTL et TF1, jeudi.

Le premier débat entre les candidats à la primaire de la droite, jeudi 13 octobre, a également apporté son lot d’approximations, voire de contre-vérités, chez quasiment tous les prétendants à l’investiture. En voici une sélection.

 

Nicolas Sarkozy et les emplois aidés
Ce qu’il a dit :
Dans un aparté avec Bruno Le Maire, Nicolas Sarkozy a déclaré ceci :
« Les emplois publics aidés… à ma connaissance, Bruno, nous n’en avions pas fait. Nous avions fait un autre choix. »

POURQUOI C’EST FAUX
Après avoir annoncé l’enterrement des contrats aidés en 2007, Nicolas Sarkozy les a ressortis des placards en 2008, en pleine crise financière, en ajoutant 100 000 nouveaux aux 230 000 déjà existants à l’époque, dans le cadre de son plan de sauvetage pour l’emploi. Trois ans plus tard, il annonçait 110 000 contrats supplémentaires, pour arriver à un total de près de 450 000.
C’est aussi sous son quinquennat qu’en 2008 a été créé le contrat unique d’insertion (CUI), regroupant des contrats aidés existants.

 

Bruno Le Maire et l’aide médicale d’Etat
Ce qu’il a dit :
« Vous trouvez ça normal de rembourser les frais de santé d’une personne en situation irrégulière et de ne pas pouvoir le faire pour un Français ? »

POURQUOI C’EST FAUX
Il est en fait complètement abusif de présenter la couverture accordée au titre de l’AME comme supérieure à celle dont bénéficient les Français. En effet, tout Français a le droit à la prise en charge de ses frais de santé grâce à la protection maladie universelle (Puma). Pour les plus défavorisés, la part complémentaire des soins est également prise en charge par la CMU-C (environ 5,2 millions de Français en bénéficiaient en 2015).
L’AME offre une prise en charge réduite en comparaison et a concerné entre 250 000 et 280 000 personnes par an ces dernières années. Les inspections générales des finances et des affaires sociales rappelaient en 2007 dans un rapport que l’AME « ne couvre pas de soins de “confort” ». Il est donc faux d’affirmer que l’AME se ferait au détriment des soins des Français.
Jean-François Copé et… son propre programme économique
Ce qu’il a dit :

 

Jean-François Copé a déclaré être sur la même ligne qu’Alain Juppé sur la dépense publique, affirmant avoir chiffré « 100 milliards d’euros » par an de diminution des dépenses dans son programme.

POURQUOI C’EST SURPRENANT
Lorsque l’on regarde le chiffrage des propositions de son projet, on ne trouve que le chiffre de 47,4 milliards, assorti d’une hausse des dépenses de 27,2 milliards, soit une économie réelle de 20,2 milliards par an. Légère différence…
A moins qu’il ne parle de « 100 milliards d’euros d’économies » réalisées au total des cinq ans ? Dans ce cas, il ne serait plus du tout sur la même ligne qu’Alain Juppé, qui prévoit bien d’arriver à 85 à 100 milliards d’euros d’économies sur le budget annuel de l’Etat à la fin de son mandat.

 

Bruno Le Maire et les 35 heures
Ce qu’il a dit :
« Les 35 heures ont détruit des emplois »

POURQUOI C’EST CONTESTABLE
La question des 35 heures et de leurs bienfaits ou méfaits continue de polariser, plus de quinze ans après la mise en place de cette durée du travail. De très nombreuses études ont été écrites sur la question, mais la dernière dit l’inverse de l’affirmation de Bruno Le Maire : un rapport de l’IGAS, resté quelque peu « caché », évoque même 350 000 créations d’emplois dues aux 35 heures.

 

Alain Juppé et les Français qui travaillent moins que leurs voisins
Ce qu’il a dit :
« Les Français travaillent bien, ils sont productifs, mais ils travaillent moins que les grands pays autour de nous. »

POURQUOI C’EST CONTESTABLE
Les études donnent à ce sujet des résultats assez contradictoires, qui appellent des réponses mesurées. Selon les données d’Eurostat, les Français qui travaillent à temps plein se situent en queue de peloton au niveau européen en termes de temps de travail. 40,7 heures par semaine, c’est un peu moins que la moyenne européenne (41,5 heures) ou que l’Allemagne (41,7 heures) et le Royaume-Uni (42,8 heures).
C’est néanmoins plus que l’Italie (40,4 heures) ou le Danemark (38,8 heures). Si l’on inclut le travail à temps partiel, les Français sont alors plus actifs que la moyenne européenne (37,5 contre 37,2 heures). Si l’on regarde les chiffres annuels du temps de travail publiés par l’OCDE, on s’aperçoit qu’il est également faux d’affirmer que la France est un pays où les travailleurs auraient un faible temps de travail annuel.
La bonne productivité des salariés français, elle, ne se dément pas étude après étude.

 

Jean-Frédéric Poisson et l’impôt sur le revenu pour tous
Ce qu’il a dit :
Le président du parti chrétien-démocrate a défendu sa proposition de réformer l’impôt sur le revenu pour que « tous les foyers fiscaux » s’en acquittent, même de manière symbolique.

POURQUOI C’EST PLUS COMPLIQUÉ
En 2014, un peu moins d’un foyer fiscal français sur deux était redevable de l’impôt sur le revenu. De quoi donner du grain à moudre à Jean-Frédéric Poisson.
Le principal défaut de cette mesure est que collecter l’impôt à un coût. Si la somme collectée est « symbolique », l’intérêt de l’impôt en lui-même peut être remis en question, surtout si l’administration fiscale doit faire la chasse à des contribuables pour qu’ils paient une ardoise de quelques dizaines d’euros. C’est en partie pour cela qu’il existe aujourd’hui un « seuil de mise en recouvrement de l’impôt » : au-dessous de 61 euros, l’administration fiscale ne réclame pas l’impôt sur le revenu au contribuable.
L’arrivée du prélèvement à la source pourrait en partie répondre à cet écueil, même si le dispositif présenté à l’été 2016 reste complexe. Sauf que Jean-Frédéric Poisson veut annuler cette réforme du gouvernement Valls en cas de victoire.

 

Nathalie Kosciusko-Morizet et le droit d’asile
Ce qu’elle a dit :
« Près de 80 % des gens qui demandent l’asile se font débouter et, parmi eux, un faible nombre rentre chez eux. »

POURQUOI C’EST EXAGÉRÉ
En réalité, le taux d’acceptation des dossiers est bien supérieur aux chiffres avancés par Nathalie Kosciusko-Morizet. Le taux d’acceptation des dossiers par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) est de 27,7 % en 2016, chiffre auquel il faut ajouter 9 % supplémentaires après recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile CNDA). Soit un total de 36,7 %, selon les statistiques de l’Ofpra, six points au-dessus du taux de 2015 (autour de 31 %). Soit près de deux sur cinq, là où NKM parlait d’un sur cinq.
Quant au nombre de demandeurs d’asile déboutés qui quittent la France, il est effectivement faible. Il serait de 4 %, selon un chiffre de la Cour des comptes régulièrement cité… mais contesté par le ministère de l’intérieur, qui explique que ce chiffre sous-estimé ne prend pas en compte les personnes qui reçoivent des titres de séjour pour d’autres motifs. En réalité, il n’existe pas de chiffre officiel incontestable. La Cimade estime de son côté que serait plutôt autour de 10 %.

 

Nicolas Sarkozy et ses positions fluctuantes sur l’usage des référendums
Ce qu’il a dit :
« C’est inexact », a rétorqué l’ex-président à Jean-François Copé qui rappelait que Nicolas Sarkozy était opposé au référendum en 2007, alors que ce dernier en propose désormais au moins quatre.

POURQUOI C’EST FAUX
L’ancien chef de l’Etat occulte le fait qu’effectivement il s’était farouchement opposé à l’idée de faire trancher les Français par le suffrage référendaire en 2007. Il disait notamment ceci, dans une interview à L’Express :
« Croyez-vous que, si je suis élu, je vais aussitôt dire aux Français : “Excusez-moi, j’ai besoin de vous demander votre avis sur un autre sujet ?” »

 

Bruno Le Maire et l’expulsion des étrangers fichés « S »
Ce qu’il a dit :
L’ancien ministre a répété sa proposition qui consiste à expulser les étrangers dans ce cas :
« S’il s’agit d’un ressortissant étranger on attend qu’il passe à l’acte ? Il faut permettre à la justice d’interpeller cette personne et de l’expulser automatiquement. Je dis bien automatiquement. »

POURQUOI C’EST INAPPLICABLE
En pratique, la loi permet tout à fait d’expulser un étranger qui représente « une menace grave ou très grave pour l’ordre public ». La décision peut être prise par le préfet ou, dans certains cas, le ministre de l’intérieur. Sauf « urgence absolue », la procédure demande de convoquer la personne concernée devant une commission avant de prendre une décision. Convocation qui doit être notifiée au moins quinze jours à l’avance.

Ce qui pose problème, c’est de rendre l’expulsion systématique pour les étrangers soupçonnés d’appartenir de près ou de loin à la mouvance djihadiste : la décision d’expulsion ne peut se faire qu’en fonction d’une appréciation individuelle de la menace. Il n’est pas nécessaire que la personne visée ait été condamnée, mais le danger doit être jugé « actuel » et « proportionnel » à la décision d’éloignement.
Le cas des fichés « S » évoqué par Bruno Le Maire regroupe des situations bien trop vagues et diverses pour légitimer des expulsions systématiques. La fiche « S » est un outil de surveillance, pas d’appréciation du niveau de dangerosité d’un individu.

 

Nicolas Sarkozy et l’internement préventif des « fichés S »
Ce qu’il a dit :
« Je réclame l’internement préventif des fichés “S” les plus dangereux. »

POURQUOI C’EST INAPPLICABLE
L’idée d’enfermer tout ou partie des personnes surveillées, qu’elles soient fichées « S » ou non, a été évoquée à de nombreuses reprises ces dernières années. Cette piste a été jugée inapplicable par le Conseil d’Etat en décembre 2015. Ce dernier estime qu’il n’est « pas possible d’autoriser par la loi, en dehors de toute procédure pénale, la rétention, dans ces centres prévus à cet effet, des personnes radicalisées ».

Rappelons également que si l’Etat juge qu’un individu fiché est suffisamment dangereux pour être arrêté, il dispose d’une large gamme d’outils juridiques pour l’arrêter et le poursuivre en justice pour le priver de ses libertés : l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, l’entreprise individuelle de terrorisme, l’apologie du terrorisme ou la consultation de sites djihadistes, par exemple.
Par ailleurs, l’ancien chef de l’Etat a affirmé le 7 octobre qu’il souhaite soumettre cette mesure au référendum pour lever l’obstacle constitutionnel. Sauf qu’il n’est pas sûr qu’un tel référendum pourrait être organisé, puisqu’il n’entre pas dans le cadre prévu par la Constitution. Et, dans tous les cas, resterait alors l’obstacle de la Convention européenne des droits de l’homme.

 

Nicolas Sarkozy et ses non-lieux
Ce qu’il a dit :
L’ex-président a dit avoir bénéficié de « cinq non-lieux » dans des affaires judiciaires, rappelant par ailleurs n’avoir jamais été condamné.

POURQUOI C’EST FAUX
En réalité, l’ancien chef de l’Etat n’a effectivement jamais été condamné. Mais il n’a bénéficié que de deux non-lieux :
Dans l’affaire Bettencourt en 2013 ;
Dans le dossier des amendes des comptes de campagne payées par l’UMP en 2015.
Plusieurs autres procédures qui visaient l’ancien chef de l’Etat n’ont pas abouti, mais il n’a pas bénéficié de non-lieux dans ces autres affaires. Et Nicolas Sarkozy reste mis en examen dans l’affaire Bygmalion et celle des écoutes.

Tag(s) : #présidentielles2017, #Actualités
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